Metzengerstein
Poe, Edgar Allan
(Translator: Charles Baudelaire)
Published: 1832
Type(s): Short Fiction
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A propos de Poe:
Edgar Allan Poe was an American poet, short story writer, playwright,
editor, critic, essayist and one of the leaders of the American Romantic
Movement. Best known for his tales of the macabre and mystery, Poe
was one of the early American practitioners of the short story and a pro-
genitor of detective fiction and crime fiction. He is also credited with
contributing to the emergent science fiction genre.Poe died at the age of
40. The cause of his death is undetermined and has been attributed to al-
cohol, drugs, cholera, rabies, suicide (although likely to be mistaken with
his suicide attempt in the previous year), tuberculosis, heart disease,
brain congestion and other agents. Source: Wikipedia
Disponible sur Feedbooks pour Poe:
• Double Assassinat dans la rue Morgue (1841)
• Le Chat noir (1843)
• Silence (1837)
• Le Scarabée d’or (1843)
• Aventure sans pareille d'un certain Hans Pfaal (1835)
• La Lettre Volée (1844)
• Le Sphinx (1846)
• Hop-Frog (1850)
• Bérénice (1835)
• La Chute de la maison Usher (1839)
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Pestis eram vivus, – moriens tua mors ero.
MARTIN LUTHER.
L’horreur et la fatalité se sont donné carrière dans tous les siècles. À
quoi bon mettre une date à l’histoire que j’ai à raconter ? Qu’il me suffise
de dire qu’à l’époque dont je parle existait dans le centre de la Hongrie
une croyance secrète, mais bien établie, aux doctrines de la métempsy-
cose. De ces doctrines elles-mêmes, de leur fausseté ou de leur probabili-
té, – je ne dirai rien. J’affirme, toutefois, qu’une bonne partie de notre cré-
dulité vient, – comme dit La Bruyère, qui attribue tout notre malheur à
cette cause unique – de ne pouvoir être seuls1. Mais il y avait quelques
points dans la superstition hongroise qui tendaient fortement à
l’absurde. Les Hongrois différaient très-essentiellement de leurs autorités
d’Orient. Par exemple, – l’âme, à ce qu’ils croyaient, – je cite les termes
d’un subtil et intelligent Parisien, – ne demeure qu’une seule fois dans
un corps sensible. Ainsi, un cheval, un chien, un homme même, ne sont
que la ressemblance illusoire de ces êtres2. Les familles Berlifitzing et
Metzengerstein avaient été en discorde pendant des siècles. Jamais on ne
vit deux maisons aussi illustres réciproquement aigries par une inimitié
aussi mortelle. Cette haine pouvait tirer son origine des paroles d’une
ancienne prophétie : – Un grand nom tombera d’une chute terrible,
quand, comme le cavalier sur son cheval, la mortalité de Metzengerstein
triomphera de l’immortalité de Berlifitzing. Certes, les termes n’avaient
que peu ou point de sens. Mais des causes plus vulgaires ont donné nais-
sance – et cela, sans remonter bien haut, – à des conséquences également
grosses d’événements. En outre, les deux maisons, qui étaient voisines,
avaient longtemps exercé une influence rivale dans les affaires d’un gou-
vernement tumultueux. De plus, des voisins aussi rapprochés sont rare-
ment amis ; et, du haut de leurs terrasses massives, les habitants du châ-
teau Berlifitzing pouvaient plonger leurs regards dans les fenêtres
mêmes du palais Metzengerstein. Enfin, le déploiement d’une
1.Mercier, dans L’An deux mil quatre cent quarante, soutient sérieusement les doc-
trines de la métempsycose, et J. d’Israeli dit qu’il n’y a pas de système aussi simple et
qui répugne moins à l’intelligence. Le colonel Ethan Allen, le Green Mountain Boa,
passe aussi pour avoir été un sérieux métempsycosiste. – (E. A. P.) La citation est en
fait de Pascal et non de La Bruyère.
2.J’ignore quel est l’auteur de ce texte bizarre et obscur ; cependant, je me suis per-
mis de le rectifier légèrement, en l’adaptant au sens moral du récit. Poe cite quelque-
fois de mémoire et incorrectement. Le sens, après tout, me semble se rapprocher de
l’opinion attribuée au père Kircher, – que les animaux sont des Esprits enfermés. –
(C. B.)
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magnificence plus que féodale était peu fait pour calmer les sentiments
irritables des Berlifitzing, moins anciens et moins riches. Y a-t-il donc
lieu de s’étonner que les termes de cette prédiction, bien que tout à fait
saugrenus, aient si bien créé et entretenu la discorde entre deux familles
déjà prédisposées aux querelles par toutes les instigations d’une jalousie
héréditaire ? La prophétie semblait impliquer, – si elle impliquait
quelque chose, – un triomphe final du côté de la maison déjà plus puis-
sante, et naturellement vivait dans la mémoire de la plus faible et de la
moins influente, et la remplissait d’une aigre animosité. Wilhelm, comte
Berlifitzing, bien qu’il fût d’une haute origine, n’était, à l’époque de ce
récit, qu’un vieux radoteur infirme, et n’avait rien de remarquable, si ce
n’est une antipathie invétérée et folle contre la famille de son rival, et une
passion si vive pour les chevaux et la chasse, que rien, ni ses infirmités
physiques, ni son grand âge, ni l’affaiblissement de son esprit, ne pou-
vait l’empêcher de prendre journellement sa part des dangers de cet
exercice. De l’autre côté, Frédérick, baron Metzengerstein, n’était pas en-
core majeur. Son père, le ministre G…, était mort jeune. Sa mère, ma-
dame Marie, le suivit bientôt. Frédérick était à cette époque dans sa dix-
huitième année. Dans une ville, dix-huit ans ne sont pas une longue pé-
riode de temps ; mais dans une solitude, dans une aussi magnifique soli-
tude que cette vieille seigneurie, le pendule vibre avec une plus profonde
et plus significative solennité. Par suite de certaines circonstances résul-
tant de l’administration de son père, le jeune baron, aussitôt après la
mort de celui-ci, entra en possession de ses vastes domaines. Rarement
on avait vu un noble de Hongrie posséder un tel patrimoine. Ses châ-
teaux étaient innombrables. Le plus splendide et le plus vaste était le pa-
lais Metzengerstein. La ligne frontière de ses domaines n’avait jamais été
clairement définie ; mais son parc principal embrassait un circuit de cin-
quante milles. L’avènement d’un propriétaire si jeune, et d’un caractère
si bien connu, à une fortune si incomparable laissait peu de place aux
conjectures relativement à sa ligne probable de conduite. Et, en vérité,
dans l’espace de trois jours, la conduite de l’héritier fit pâlir le renom
d’Hérode et dépassa magnifiquement les espérances de ses plus enthou-
siastes admirateurs. De honteuses débauches, de flagrantes perfidies, des
atrocités inouïes, firent bientôt comprendre à ses vassaux tremblants que
rien, – ni soumission servile de leur part, ni scrupules de conscience de la
sienne, – ne leur garantirait désormais de sécurité contre les griffes sans
remords de ce petit Caligula. Vers la nuit du quatrième jour, on s’aperçut
que le feu avait pris aux écuries du château Berlifitzing, et l’opinion una-
nime du voisinage ajouta le crime d’incendie à la liste déjà horrible des
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délits et des atrocités du baron. Quant au jeune gentilhomme, pendant le
tumulte occasionné par cet accident, il se tenait, en apparence plongé
dans une méditation, au haut du palais de famille des Metzengerstein,
dans un vaste appartement solitaire. La tenture de tapisserie, riche,
quoique fanée, qui pendait mélancoliquement aux murs, représentait les
figures fantastiques et majestueuses de mille ancêtres illustres. Ici des
prêtres richement vêtus d’hermine, des dignitaires pontificaux, sié-
geaient familièrement avec l’autocrate et le souverain, opposaient leur
veto aux caprices d’un roi temporel, ou contenaient avec le fiat de la
toute-puissance papale le sceptre rebelle du Grand Ennemi, prince des
ténèbres. Là, les sombres et grandes figures des princes Metzengerstein –
leurs musculeux chevaux de guerre piétinant les cadavres des ennemis
tombés – ébranlaient les nerfs les plus fermes par leur forte expression ;
et ici, à leur tour, voluptueuses et blanches comme des cygnes, les
images des dames des anciens jours flottaient au loin dans les méandres
d’une danse fantastique aux accents d’une mélodie imaginaire. Mais,
pendant que le baron prêtait l’oreille ou affectait de prêter l’oreille au va-
carme toujours croissant des écuries de Berlifitzing, – et peut-être médi-
tait quelque trait nouveau, quelque trait décidé d’audace, – ses yeux se
tournèrent machinalement vers l’image d’un cheval énorme, d’une cou-
leur hors nature, et représenté dans la tapisserie comme appartenant à
un ancêtre sarrasin de la famille de son rival. Le cheval se tenait sur le
premier plan du tableau, – immobile comme une statue, – pendant qu’un
peu plus loin, derrière lui, son cavalier déconfit mourait sous le poignard
d’un Metzengerstein. Sur la lèvre de Frédérick surgit une expression dia-
bolique, comme s’il s’apercevait de la direction que son regard avait pris
involontairement. Cependant, il ne détourna pas les yeux. Bien loin de là,
il ne pouvait d’aucune façon avoir raison de l’anxiété accablante qui sem-
blait tomber sur ses sens comme un drap mortuaire. Il conciliait difficile-
ment ses sensations incohérentes comme celles des rêves avec la certi-
tude d’être éveillé. Plus il contemplait, plus absorbant devenait le
charme, – plus il lui paraissait impossible d’arracher son regard à la fas-
cination de cette tapisserie. Mais le tumulte du dehors devenant soudai-
nement plus violent, il fit enfin un effort, comme à regret, et tourna son
attention vers une explosion de lumière rouge, projetée en plein des écu-
ries enflammées sur les fenêtres de l’appartement. L’action toutefois ne
fut que momentanée ; son regard retourna machinalement au mur. À son
grand étonnement, la tête du gigantesque coursier – chose horrible ! –
avait pendant ce temps changé de position. Le cou de l’animal, d’abord
incliné comme par la compassion vers le corps terrassé de son seigneur,
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était maintenant étendu, roide et dans toute sa longueur, dans la direc-
tion du baron. Les yeux, tout à l’heure invisibles, contenaient maintenant
une expression énergique et humaine, et ils brillaient d’un rouge ardent
et extraordinaire ; et les lèvres distendues de ce cheval à la physionomie
enragée laissaient pleinement apercevoir ses dents sépulcrales et dégoû-
tantes. Stupéfié par la terreur, le jeune seigneur gagna la porte en chance-
lant. Comme il l’ouvrait, un éclat de lumière rouge jaillit au loin dans la
salle, qui dessina nettement son reflet sur la tapisserie frissonnante ; et,
comme le baron hésitait un instant sur le seuil, il tressaillit en voyant que
ce reflet prenait la position exacte et remplissait précisément le contour
de l’implacable et triomphant meurtrier du Berlifitzing sarrasin. Pour al-
léger ses esprits affaissés, le baron Frédérick chercha précipitamment le
plein air. À la porte principale du palais, il rencontra trois écuyers. Ceux-
ci, avec beaucoup de difficulté et au péril de leur vie, comprimaient les
bonds convulsifs d’un cheval gigantesque couleur de feu. – À qui est ce
cheval ? Où l’avez-vous trouvé ? demanda le jeune homme d’une voix
querelleuse et rauque, reconnaissant immédiatement que le mystérieux
coursier de la tapisserie était le parfait pendant du furieux animal qu’il
avait devant lui. – C’est votre propriété, monseigneur, répliqua l’un des
écuyers, du moins il n’est réclamé par aucun autre propriétaire. Nous
l’avons pris comme il s’échappait, tout fumant et écumant de rage, des
écuries brûlantes du château Berlifitzing. Supposant qu’il appartenait au
haras des chevaux étrangers du vieux comte, nous l’avons ramené
comme épave. Mais les domestiques désavouent tout droit sur la bête ;
ce qui est étrange, puisqu’il porte des traces évidentes du feu, qui
prouvent qu’il l’a échappé belle. – Les lettres W. V. B. sont également
marquées au fer très-distinctement sur son front, interrompit un second
écuyer ; je supposais donc qu’elles étaient les initiales de Wilhelm von
Berlifitzing, mais tout le monde au château affirme positivement n’avoir
aucune connaissance du cheval. – Extrêmement singulier ! dit le jeune
baron, avec un air rêveur et comme n’ayant aucune conscience du sens
de ses paroles. C’est, comme vous dites, un remarquable cheval, – un
prodigieux cheval ! bien qu’il soit, comme vous le remarquez avec jus-
tesse, d’un caractère ombrageux et intraitable ; allons ! qu’il soit à moi, je
le veux bien, ajouta-t-il après une pause ; peut-être un cavalier tel que
Frédérick de Metzengerstein pourra-t-il dompter le diable même des
écuries de Berlifitzing. – Vous vous trompez, monseigneur ; le cheval,
comme nous vous l’avons dit, je crois, n’appartient pas aux écuries du
comte. Si tel eût été le cas, nous connaissons trop bien notre devoir pour
l’amener en présence d’une noble personne de votre famille. – C’est vrai !
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observa le baron sèchement. Et, à ce moment, un jeune valet de chambre
arriva du palais, le teint échauffé et à pas précipités. Il chuchota à
l’oreille de son maître l’histoire de la disparition soudaine d’un morceau
de la tapisserie, dans une chambre qu’il désigna, entrant alors dans des
détails d’un caractère minutieux et circonstancié ; mais, comme tout cela
fut communiqué d’une voix très-basse, pas un mot ne transpira qui pût
satisfaire la curiosité excitée des écuyers. Le jeune Frédérick, pendant
l’entretien, semblait agité d’émotions variées. Néanmoins, il recouvra
bientôt son calme, et une expression de méchanceté décidée était déjà
fixée sur sa physionomie, quand il donna des ordres péremptoires pour
que l’appartement en question fût immédiatement condamné et la clef
remise entre ses mains propres. – Avez-vous appris la mort déplorable
de Berlifitzing, le vieux chasseur ? dit au baron un de ses vassaux, après
le départ du page, pendant que l’énorme coursier que le gentilhomme
venait d’adopter comme sien s’élançait et bondissait avec une furie re-
doublée à travers la longue avenue qui s’étendait du palais aux écuries
de Metzengerstein. – Non, dit le baron se tournant brusquement vers ce-
lui qui parlait ; mort ! dis-tu ? – C’est la pure vérité, monseigneur ; et je
présume que, pour un seigneur de votre nom, ce n’est pas un renseigne-
ment trop désagréable. Un rapide sourire jaillit sur la physionomie du
baron. – Comment est-il mort ? – Dans ses efforts imprudents pour sau-
ver la partie préférée de son haras de chasse, il a péri misérablement
dans les flammes. – En… vé… ri… té… ! exclama le baron, comme im-
pressionné lentement et graduellement par quelque évidence mysté-
rieuse. – En vérité, répéta le vassal. – Horrible ! dit le jeune homme avec
beaucoup de calme. Et il rentra tranquillement dans le palais. À partir de
cette époque, une altération marquée eut lieu dans la conduite extérieure
du jeune débauché, baron Frédérick von Metzengerstein. Véritablement,
sa conduite désappointait toutes les espérances et déroutait les intrigues
de plus d’une mère. Ses habitudes et ses manières tranchèrent de plus en
plus et, moins que jamais, n’offrirent d’analogie sympathique quel-
conque avec celle de l’aristocratie du voisinage. On ne le voyait jamais au
delà des limites de son propre domaine, et, dans le vaste monde social, il
était absolument sans compagnon, à moins que ce grand cheval impé-
tueux, hors nature, couleur de feu, qu’il monta continuellement à partir
de cette époque, n’eût en réalité quelque droit mystérieux au titre d’ami.
Néanmoins, de nombreuses invitations de la part du voisinage lui arri-
vaient périodiquement. – « Le baron honorera-t-il notre fête de sa pré-
sence ? » – « Le baron se joindra-t-il à nous pour une chasse au sanglier ?
» – « Metzengerstein ne chasse pas », – « Metzengerstein n’ira pas, » –
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telles étaient ses hautaines et laconiques réponses. Ces insultes répétées
ne pouvaient pas être endurées par une noblesse impérieuse. De telles
invitations devinrent moins cordiales, – moins fréquentes ; – avec le
temps elles cessèrent tout à fait. On entendit la veuve de l’infortuné
comte Berlifitzing exprimer le vœu « que le baron fût au logis quand il
désirerait n’y pas être, puisqu’il dédaignait la compagnie de ses égaux ;
et qu’il fût à cheval quand il voudrait n’y pas être, puisqu’il leur préférait
la société d’un cheval. » Ceci à coup sûr n’était que l’explosion niaise
d’une pique héréditaire et prouvait que nos paroles deviennent singuliè-
rement absurdes quand nous voulons leur donner une forme extraordi-
nairement énergique. Les gens charitables, néanmoins, attribuaient le
changement de manières du jeune gentilhomme au chagrin naturel d’un
fils privé prématurément de ses parents, – oubliant toutefois son atroce
et insouciante conduite durant les jours qui suivirent immédiatement
cette perte. Il y en eut quelques-uns qui accusèrent simplement en lui
une idée exagérée de son importance et de sa dignité. D’autres, à leur
tour (et parmi ceux-là peut être cité le médecin de la famille), parlèrent
sans hésiter d’une mélancolie morbide et d’un mal héréditaire ; cepen-
dant, des insinuations plus ténébreuses, d’une nature plus équivoque,
couraient parmi la multitude. En réalité, l’attachement pervers du baron
pour sa monture de récente acquisition, – attachement qui semblait
prendre une nouvelle force dans chaque nouvel exemple que l’animal
donnait de ses féroces et démoniaques inclinations, – devint à la longue,
aux yeux de tous les gens raisonnables, une tendresse horrible et contre
nature. Dans l’éblouissement du midi, – aux heures profondes de la nuit,
– malade ou bien portant, – dans le calme ou dans la tempête, – le jeune
Metzengerstein semblait cloué à la selle du cheval colossal dont les in-
traitables audaces s’accordaient si bien avec son propre caractère. Il y
avait, de plus, des circonstances qui, rapprochées des événements ré-
cents, donnaient un caractère surnaturel et monstrueux à la manie du ca-
valier et aux capacités de la bête. L’espace qu’elle franchissait d’un seul
saut avait été soigneusement mesuré, et se trouva dépasser d’une diffé-
rence stupéfiante les conjectures les plus larges et les plus exagérées. Le
baron, en outre, ne se servait pour l’animal d’aucun nom particulier,
quoique tous les chevaux de son haras fussent distingués par des appel-
lations caractéristiques. Ce cheval-ci avait son écurie à une certaine dis-
tance des autres ; et, quant au pansement et à tout le service nécessaire,
nul, excepté le propriétaire en personne, ne s’était risqué à remplir ces
fonctions, ni même à entrer dans l’enclos où s’élevait son écurie particu-
lière. On observa aussi que, quoique les trois palefreniers qui s’étaient
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emparés du coursier, quand il fuyait l’incendie de Berlifitzing, eussent
réussi à arrêter sa course à l’aide d’une chaîne à nœud coulant, cepen-
dant aucun des trois ne pouvait affirmer avec certitude que, durant cette
dangereuse lutte, ou à aucun moment depuis lors, il eût jamais posé la
main sur le corps de la bête. Des preuves d’intelligence particulière dans
la conduite d’un noble cheval plein d’ardeur ne suffiraient certainement
pas à exciter une attention déraisonnable ; mais il y avait ici certaines cir-
constances qui eussent violenté les esprits les plus sceptiques et les plus
flegmatiques ; et l’on disait que parfois l’animal avait fait reculer
d’horreur la foule curieuse devant la profonde et frappante signification
de sa marque, – que parfois le jeune Metzengerstein était devenu pâle et
s’était dérobé devant l’expression soudaine de son œil sérieux et quasi
humain. Parmi toute la domesticité du baron, il ne se trouva néanmoins
personne pour douter de la ferveur extraordinaire d’affection
qu’excitaient dans le jeune gentilhomme les qualités brillantes de son
cheval ; personne, excepté du moins un insignifiant petit page malvenu,
dont on rencontrait partout l’offusquante laideur, et dont les opinions
avaient aussi peu d’importance qu’il e
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